Expiation de Ian McEwan






Auteur:Ian McEwan
Titre original: Atonement (anglais)
Traducteur: Guillemette Belleteste
Date de publication: 2000 (traduction française: 2001)
Editions: Gallimard, collection Folio
Pages:488
Mon avis
* On incitait Briony à lire ses histoires dans la bibliothèque, et ses parents et sa soeur aînée étaient surpris d'entendre leur sage petite fille se donner en spectacle, faire de grands gestes de sa main libre, hausser les sourcils en interprétant les voix, lever les yeux de sa lecture l'espace de quelques secondes pour sonder les visages les uns après les autres, exigeant dans vergogne tout l'attention d'une famille ensorcelée par son récit.*

Sous la canicule qui frappe l'Angleterre en ce mois d'août 1935, la jeune Briony a trouvé sa vocation: elle sera romancière. Du haut de ses treize ans, elle voit dans le roman un moyen de déchiffrer le monde. Mais lorsqu'elle surprend sa grande soeur Cecilia avec Robbie, fils de domestique, sa réaction naïve aux désirs des adultes va provoquer une tragédie. Trois vies basculent et divergent, pour se recroiser cinq ans plus tard, dans le chaos de la guerre, entre la déroute de Dunkerque et les prémices du Blitz. Mais est-il encore temps d'expier un crime d'enfance?
Tout en s'interrogeant sur les pouvoirs et les limites de la fiction, Ian McEwan restitue les frémissements d'une conscience, la splendeur indifférente de la nature et les tourments d'une histoire aveugle aux individus.
Dans la grande demeure des Tallis, en ce bel été de 1935, la jeune Briony a décidé de devenir écrivain. Désormais la seule enfant de la famille dans ce lieu isolé, elle utilise son imagination débordante tant pour rêver que pour écrire… Et toujours dans ses fictions, le courage l’emporte sur la lâcheté, la vertu sur la tromperie et le bien sur le mal. Avec l’arrivée de ses cousins du Nord, ainsi que le retour de son frère Leon, elle voit l’opportunité de mettre son talent en avant. Adolescente à la frontière entre le monde des adultes et celui des enfants, Briony va pourtant provoquer un drame. Après avoir surpris sa sœur Cecilia avec Robbie, le fils de la femme de ménage, elle va changer leur vie à jamais.
Cinq ans plus tard, en pleine guerre mondiale, personne n’a oublié. Briony a grandi et décide de se repencher sur cette soirée où tout a basculé. Mais n’est-il pas trop tard pour revenir en arrière et arranger le passé ?
Expiation est un étonnant mélange. D’un crime d’enfance à la guerre, en passant par un drame familial, la déroute de Dunkerque, la vie londonienne en cette période troublée et une histoire d’amour brisée, Ian McEwan dépeint une image à la fois touchante, captivante et réaliste. Le lecteur est tout d’abord plongé dans l’univers des Tallis, famille de la bonne société. Dans un décor où la nature prend une importance particulière sont introduits les principaux personnages de l’intrigue : la jeune Briony, ses grands frères et sœurs, Leon et Cecilia, sa mère, Emily, ses cousins, Pierrot, Jackson et Lola, et quelques domestiques. Briony, âgée de treize ans, est immédiatement mise en avant. Nous découvrons sa vie, ses plus secrètes penses et sa grande ambition : devenir écrivain. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est elle qui va – involontairement – provoquer la tragédie située au cœur du roman, par une suite d’événements que l’on pourrait qualifier de coïncidences fâcheuses.
La deuxième partie prend place cinq ans plus tard, au début de la guerre. Nous retrouvons alors les personnages principaux, dont le destin a été tracé par les événements de 1935. Robbie est alors projeté sur le devant de la scène, engagé dans l’armée anglaise. Nous traversons alors de nombreuses scènes de la déroute de Dunkerque. De la fuite des soldats aux bombardements des civils, de la détresse à l’espoir, tous les aspects sont traités dans de longues et précises descriptions. Ces dernières sont très réalistes et font bien ressentir au lecteur l’horreur dans laquelle Robbie et ses compagnons d’infortune sont plongés, pendant une période qui semble infinie. Bien qu’illustrant à merveille la lenteur avec laquelle l’armée en déroute se déplace certaines de ces scènes sont relativement longues à lire et n’apportent selon moi par réellement d’éléments significatifs, que ce soit du point de vue historique ou psychologique.
Du côté de Briony et de Cecilia, qui n’ont depuis le soir du drame plus aucune relation, nous assistons à un changement capital. Eloignées du cocon familial, chacune de son côté à décidé d’entreprendre des études d’infirmières. Avec le corps médical de l’armée, elles ont aussi à faire face à la guerre, mais de manière indirecte. Cette troisième partie, consacrée au travail médical, m’a énormément plus. Nous découvrons le quotidien des apprenties, préparées sans qu’elles ne le sachent réellement à traiter les blessés de guerre. Le travail se fait de plus en plus dur jusqu’à ce qu’elles soient projetées au milieu des horreurs de la guerre de l’armée en déroute. Les détails et anecdotes sont admirablement bien racontés, de sorte que nous avons une idée précise et complète de la situation d’un hôpital londonien juste avant le Blitz.
De nombreuses années sont ensuite passées sous silence jusqu’en 1999, date de l’épilogue, qui nous réserve bien des surprises. C’est seulement lors des dernières pages que le lecteur découvrira le fin mot de l’histoire. Contrairement au reste du roman, où les détails et descriptions prolifèrent, nous assistons à un dénouement rapide qui nous lasse nous interroger sur l’ensemble de la tragédie, de la première phrase au dernier mot. La longueur de cette dernière partie est parfaite : elle laisse place à l’interprétation et à la réflexion du lecteur tout en lui fournissant suffisamment de détails.
Ce changement de style d’écriture est dans aucun doute un des points forts de ce roman. Ian McEwan a choisi une héroïne qui se cherche et qui a pour ambition de devenir écrivain. A partir du moment où l’écriture est un thème sur lequel on attire l’attention du lecteur, il convient d’attacher une attention particulière à la forme du roman elle-même. Le début de l’intrigue se passe en 1935, dans une famille au statut social élevé. Le style utilisé – phrases longues complexes, description poétiques, vocabulaire recherché – reflète l’univers dans lequel les personnages évoluent. Nous sommes ainsi plongés dans le quotidien d’une famille cultivée de l’époque.
Plus tard, durant la guerre, mais plus particulièrement à l’hôpital où travaille Briony, les événements se précipitent et le rythme des phrases devient plus rapide, faisant en quelque sorte écho à ce qui se passe à l’extérieur. L’épilogue continue dans la même direction : le style est élégant, mais plus épuré qu’au cours des premières pages du roman, et plus direct aussi. Nous vivons alors un brusque retour à la réalité, le retour au monde d’une adolescente qui vivait auparavant principalement dans ses pensées et ses écrits.
L’écriture est, comme je l’ai déjà dit, un thème particulièrement important, qui est développé de manière très intéressante. Ian McEwan s’interroge sur ses pouvoirs et ses dangers, ainsi que sur ce que la fiction nous permet ou ne nous permet pas de faire. Omniprésente dans le monde d’une jeune adolescente solitaire, il devient sous-jacent, l’espace d’un instant, durant la guerre, avant de revenir sur le devant de la scène pour la fin du roman.
Expiation, c’est l’histoire d’une famille déchirée par un crime d’enfance où les protagonistes poursuivent leur destin au cours d’événements historiques majeurs. De la tragédie d’une seule soirée aux conséquences irréversibles de la guerre, le lecteur est tenu en haleine jusqu’aux dernières pages. Si vous aimez les romans psychologiques et dramatiques, avec pour cadre d’importants faits historiques, et que vous n’avez pas peur des phrases et descriptions parfois un peu longues, n’hésitez plus !


Un grand merci à Sophie de m'avoir prêté ce livre...