Stupeur et tremblements d'Amélie Nothomb




couverture livre

Auteur:Amélie Nothomb
Date de publication:1999
Editions: Albin Michel
Pages:175
Mon avis

* Avec mon chariot, qui me donnait une contenance agréable, j'empruntais l'ascenseur. J'aimais cela car juste à côté, à l'endroit où je l'attendais, il y avait une immense baie vitrée. Je jouais alors à ce que j'appelais "me jeter dans la vue". Je collais mon nez à la fenêtre et me laissais tomber mentalement. La ville était si loin en dessous de moi: avant que je ne m'écrase sur le sol, il m'était loisible de regarder tant de choses. *
"Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieur. Et moi, je n'était la supérieure de personne.
On pourrait dire les choses autrement. J'étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques.
Donc, dans la compagnie Yumimoto, j'étais aux ordres de tout le monde."
Stupeurs et tremblements : ces trois mots décrivent la manière dont, dans l’ancien Japon, on s’adressait à l’Empereur. C’est un titre qui convient parfaitement à l’histoire qu’Amélie Nothomb a vécue dans le pays du soleil levant.
L’auteur revient au Japon, son pays natal qu’elle a quitté à l’âge de 5 ans. Elle a un contrat de travail avec l’importante firme Yumimoto, mais elle remarque bien vite que son emploi ne remplit pas ses attentes. Engagée à la base comme interprète, elle se retrouve à faire des tâches de plus en plus dégradantes, du changement de jour sur le calendrier à la dame-pipi. Mais pourtant, elle ne démissionne pas, car au Japon, cela signifierait perdre son honneur… Et Amélie est prête à montrer à tous les employés – et à Mlle Mori en particulier – que leurs préjugés sur les occidentaux sont faux.
Par cette histoire qui paraît très simple et ordinaire, l’auteur nous livre une critique du monde impitoyable du travail japonais : il faut se battre pour obtenir des promotions, travailler des heures et de heures avec acharnement pour être parfois humilié, et lorsqu’on fait une erreur, on est relégué plus bas dans la hiérarchie.
Plus largement, on assiste à une sorte de comparaison entre les mentalités japonaise et occidentale en général. On a ainsi de nombreuses considérations sur le statut des femmes dans la société et sur la désillusion des hommes lorsqu’ils comprennent à quoi leur vie se résumera. De même, la plupart des personnages semblent éprouver une certains méfiance et du mépris à l’égard des occidentaux, c’est-à-dire, dans ce cas précis, Amélie.
La relation particulière que la jeune Européenne entretient avec sa supérieure, Mlle Mori, est très intéressante. On est témoin, à plusieurs reprises, des maladresses parfaitement involontaires d’Amélie, réinterprétées ensuite par sa supérieure directe comme des actes de sabotage. Pourtant, malgré les réprimandes et les tâches de plus en plus humiliantes, l’admiration de l’auteur pour la belle femme japonaise ne diminue pas.
Stupeur et tremblements est un roman qui se lit facilement et plutôt rapidement. Certains passages ne sont pas dénués d’humour, ce qui est bienvenu dans un livre présentant un côté extrêmement négatif de la culture japonaise. La culture du pays est détaillée, au détriment peut-être de sentiments plus profonds entre les différents personnages. Je dois avouer avoir été un peu déçue, sans savoir exactement pourquoi. Le style d’écriture est original, mais je n’ai pas vraiment accroché. Simple et pourtant truffé de subjonctifs imparfaits ; d’un humour parfois difficile à comprendre ; décrivant certaines scènes étranges, dont on ne comprend pas vraiment la place dans le roman… C’est sans doute une manière différente d’aborder une autobiographie, et au vu des nombreux admirateurs de l’auteur, je pense que cette méthode était plutôt efficace. Après tout, à chacun ses goûts… N’hésitez donc pas à découvrir ce roman par vous-mêmes, et dites m’en des nouvelles !

.
 

 

Critiques en partenariat / Reviews for partners

With the help of the A&M forum, I have been able to write reviews for partners (publishers or authors), which enabled me to discover a wide range of new books. Here is a summary of the reviews I wrote for partners.

Grâce au forum A&M, j'ai pu faire de critiques en partenariat (pour des maisons d'édition ou des auteurs), ce qui m'a permis de découvrir une grande variété de livres. Voici un résumé de mes critiques réalisées en partenariat.

- Auteurs / Authors -
    Mathieu DOMBRE - D'ombre et de lumière (post)
    Ange GODART - De la lumière aux ténèbres (post)
.
 

- Maisons d'édition / Publishers -
    Editions Persée - Féealy Mage, de Rawia Arroum (post)
    Editions Chloé des Lys - 24 heures pour la fin d'un monde, d'Emilie Decamp (post)
    Editions Chloé des Lys - Devoir et mémoire, d'Henri Beaudout (post)   
    I would like to thank all of them for trusting me and letting me discover their books!
    Je voudrais les remercier de leur confiance et de m'avoir fait découvrir leurs livres!
Category: 0 comments

D'ombre et de Lumière de Mathieu Dombre




couverture livre

Auteur:Mathieu Dombre
Date de publication:2011
Editions: Praelego
Pages:184
(Lu en fichier PDF)
Mon avis
* L'idée de suicide commence à me séduire. Sans avenir, tout devient simple, je vide la bouteille de vodka de Mickey et je me passe la corde autour du cou. Ma vie défile devant mes yeux. Elle été bien remplie. Je suis seul, ni femme, ni enfant. Tout à coup l'entourage qui m'aime déboule dans mon esprit. Je ne peux pas leur faire ça. Ils ont besoin de moi comme j'ai besoin d'eux. *

Mathieu Kari Tuomikoski Dombre est né à Paris en 1959 de père français et de mère finlandaise. Après une enfance en Irak puis en Amérique du Sud, il rentre en France avec sa mère et ses deux frères suite au divorce de ses parents. Nouvelle liberté qui panse les plaies d’un père bourreau. Sa nouvelle situation familiale devenue précaire, il court-circuite les études. Après un séjour dans les parachutistes, il rentre dans la vie active comme simple manutentionnaire ou barman.
Survivant du cancer et du sang contaminé, il gravira tous les échelons dans l’informatique pour devenir ingénieur concepteur d’un système de pilotage de flux, certifié par Microsoft, vendu sous licence à de prestigieuses sociétés. Une suite d’évènements tragiques lui fera perdre tout. Piratage de son logiciel par les multinationales, un second divorce, la mort de son frère emporté par le Sida, auteur connu de BD en collaboration avec Jodorowsky, puis celle de sa mère traductrice de Proust en finnois vont retirer tout sens à sa vie. Aujourd’hui, l’exercice de sa longue pratique des arts divinatoires lui donne une nouvelle raison de vivre.
Autodidacte devenu ingénieur concepteur d’un système informatique convoité, il se retrouve un beau matin Rmiste et Sdf durant la crise économique et financière de 2008. Médium et astrologue, il va tenter de décrypter sa descente aux enfers pour l’enrayer, en reliant passé et présent, afin de trouver une issue de secours. L’alcool lui permet de tenir, mais il ne sait pas qu’il a mis un pied dans un engrenage fatal.
Son combat au quotidien pour récupérer son honneur sera sa raison de vivre. Piraté, abandonné, il trouve des ressources pour que la lumière devienne son flambeau. Passionné par la vie il rencontre l’amour sur sa route qui l’aidera à trouver la résurrection dans la rédemption.
Père bourreau, cancer, situation familiale précaire, perte d’emploi, décès de son frère, puis de sa mère, alcoolisme… Les événements tragiques semblent ne jamais s’arrêter pour Mathieu Dombre. Dans D'ombre et de Lumière, sa biographie, il partage son histoire avec les lecteurs, sans gêne, sans tabou.
Son récit commence en juin 2009, lors de son quatrième jour de sevrage. De là, on assiste à de nombreux retours en arrière, tout d’abord après sa séparation de Michèle avant les fêtes de Noël de l’année précédente, puis de plus en plus loin, jusque dans son enfance. Devenu SDF, Mathieu dort chez qui veut bien l’accueillir et gagne de l’argent comme il le peut. Ce mode de vie le mène à beaucoup voyager à l’intérieur de la France, ce qui a pour effet de ramener de nombreux souvenirs à sa mémoire. Ces derniers s’enchaînent de manière naturelle et fluide, bien qu’il soit parfois quelque peu difficile de les situer les uns par rapport aux autres. Ils nous font petit à petit découvrir son histoire et comprendre l’enchaînement d’événements qui a provoqué sa descente aux enfers.
On a l’impression que le sort s’acharne contre l’auteur et ses proches. Toutefois, à chaque nouveau malheur, il se relève et reprend sa route… jusqu’au prochain malheur. Dans ce milieu où tout le monde semble peiner à survire à la crise, on remarque toutefois l’importance des relations et de l’entraide. L’auteur connaît un grand nombre de personnes – dont la plupart sont également dans une situation précaire – et il obtient toujours de l’aide lorsqu’il en a besoin, que ce soit pour trouver un toit pendant quelques temps, emprunter un peu d’argent ou simplement pour ne pas être seul. A son tour, il apporte un peu de bonheur quand il en a l’occasion et qu’il rencontre plus malheureux que lui. Ces rencontres avec différents personnages égayent le roman de petites scènes touchantes et plus légères.
L’alcool, ou plutôt la bête, pour reprendre les termes de l’auteur, est omniprésent. La quantité consommée augmente au fil des pages, alors que sa qualité diminue en même temps que l’argent disponible. Mathieu a toutefois conscience de son problème et s’efforce de s’en sortir. Il sait que la solution à un seul de ses problèmes – que ce soit l’argent, le travail ou l’amour – l’aidera à résoudre les autres.
Les passages concernant ses activités professionnelles sont parfois difficiles à comprendre pour quiconque ne possède pas de solides connaissances en informatique. L’auteur sait de quoi il parle et cela se voit. Ce n’est pourtant pas toujours le cas du lecteur, qui doit s’accrocher pour se représenter les différentes étapes qui ont marqué la carrière de Mathieu Dombre, ainsi que les problèmes légaux qui ont suivi le piratage du logiciel qu’il avait mis en place.
La même critique s’applique aux passages traitant d’astrologie. C’est un sujet plutôt inhabituel, qui devrait donc attirer l’attention des lecteurs, mais ils nous laissent sur notre faim, car nous ne comprenons pas vraiment où l’auteur veut en venir. Quelle est la différence entre un astrologue, un tarologue, un numérologue et un médium ? Quels est le rôle des planètes dans ce domaine ? Et celui des signes astrologiques ? Autant de questions qui auraient pu être développées, mais qui malheureusement restent sans réponse.
Dans de nombreux passages, intercalés entre le récit en lui-même, l’astrologie et l’informatique, l’auteur se penche sur des considérations philosophiques et sociales très intéressantes. Ainsi, nous avons un petit aperçu de sont point de vue sur différents sujets, tels que l’évolution de la société, l’euthanasie, les problèmes de logement et le fonctionnement du monde de la finance. Exposé de manière simple, son avis donne de la profondeur à l‘histoire et nous aide à la situer dans notre société actuelle.
Du point de vue du contenu, D'ombre et de Lumière est donc très intéressant. Du point de vue du style toutefois, il y a de nombreux problèmes. Le ton familier et les tournures quelque peu orales utilisées par l’auteur ne dérangent pas le lecteur, car ils donnent l’impression que l’auteur s’adresse directement à nous, sans qu’une distance ne soit créée par un vocabulaire trop recherché. Toutefois, la présence de nombreuses fautes de français, d’orthographe et de frappe entravent la compréhension. De plus, la ponctuation n’est pas adéquate et certaines phrases sont difficiles – voire impossible – à comprendre. Ces défauts nuisent clairement l’effet qui devrait se dégager d’un tel roman.
Cette autobiographie mérite donc, à mon avis, d’être retravaillée. On ne peut pas nier que l’auteur a une histoire extrêmement intéressante à partager, mais pour qu’elle soit appréciée à sa juste valeur, il faut absolument que les différents types de fautes soient éliminés. De plus, du point de vue de l’organisation et des détails, certains passages mériteraient d’être améliorés. Malgré ces importants défauts, l’histoire en elle-même est touchante et émouvante, et mérite d’être connue.
Je remercie le forum A&M et l’auteur, qui m’ont permis de découvrir ce roman, pour leur confiance.


Un grand merci à l'auteur pour sa confiance

Surviving with wolves by Misha Defonseca



Book cover


Author:Misha Defonseca
Original Title: Survivre avec les loups (French)
Tanslator: Sue Rose
Publication Date: 1997 (English translation: 2005)
Editions: Piatkus books
Pages:231
Mon avis
* You keep going first to find something to eat and then because you always believe that, beyond that tree or over that high slope, you'll find a village, or people or a road sign pointing you in the right direction.*

Misha was only seven when the Nazis took her Jewish parents away from her in Brussels. No one told her why her parents were no longer with her; only that they had gone East. So one day, equipped with just a tiny compass, the little firl set out East to find them. Alone and on foot, Misha crossed Belgium, Germany, Poland and the Ukraine.
Surviving with wolves is Misha's extraordinary and poignant story - of how a young girl witnessed the appalling cruelties of war, and for whom the animals of the forest proved safer than humans. It is a book that will never be forgotten by anyone who reads it.

“At one lecture, a woman said to me, ‘You’re not a holocaust survivor. You didn’t live in the camps.’ Hers was just one voice among others. It shouldn’t have upset me as it did, but I was annoyed with myself for telling the world a story that wasn’t universally accepted, just because it wasn’t like everyone else’s. I was different, as always… ” Surviving with wolves is indeed unique, a story different from any other one you might have read. It takes place during the war and the reader sees through Jewish eyes. Until then, you will tell me that there is nothing unusual about it, and you are right. What makes this book so extraordinary how its story actually unfolds and how the different events that occur are told.
Misha lives in Brussels with her parents and even though they are rather poor, she is happy. But she is Jewish and her life changes forever when her parents are taken away by Nazis. Misha is saved and placed in a Belgian family who will take care of her. As she is only seven, she does not fully understand what is happening. She knows that she must not say that she is Jewish; she knows that the Nazis are dangerous; she knows that her parents are in the East. Nobody explained anything else to her. So one day, she sets off towards the East to find them and starts an unimaginable journey through Europe in war.
The story of the journey itself is wonderful. We follow the little girl who knows nothing about war in her adventure. She is innocent but clever and very brave. From the very beginning, we see how she can survive in hostile environment, with people fighting around her and the whole world collapsing. Because of this traumatic period, nobody tries to stop her; it is not usual to see poor and filthy children on their own, and Misha does not trust people. She steals food from the farms or eats from carcasses rather than begging or asking for help. She sleeps in the forest rather that hideing in deserted buildings. This is how, on her long way trough Belgium, Germany, Poland, Russia and the Ukraine, she meets wolves with whom she develops a wonderful relationship.
This relationship is incredible at first, but yet as the story goes on we understand it better. The descriptions of the majestic animals are poignant and we clearly see why the little girl trusts them rather than humans: they don’t have guns, they are not deliberately cruel to one another, they have clear rules and they can be trusted… Unlike human beings or at least unlike the human beings Misha has met.
The scenes with nature are cleverly mixed with war scenes. As Misha does not trust humans, she does not seek social contact but inevitably she will see some of the horrors of the war. An interesting aspect is that, by travelling, we see how different people react to the war. The reader is given an insight into Polish guerrillas’ fights, Jews’ persecution, German soldiers’ methods, Russian civilians’ hope and prisoner camps…
These are described with accurate details of what the little girl felt when she actually lived the scene and mixed with explanations given by Misha years later, when she writes about her adventure. Telling this story with two perspectives was a sensible choice: we understand the little girl experience, her innocence and how traumatic everything was for someone who did not understand at all the gravity of what was happening; at the same time, we have more factual explanation to help us understand how Misha’s personal story is linked to the rest of the events.
One of the main controversies that arose with the publication of this book regarded the truth of the story. Even if Misha first presented it as real, it turned out that she had actually made it up: she was not Jewish and she did not travel all the way through Europe, living with wolves, to find her parents. This revelation should however not lessen the beauty of the story. Misha has survived the war and her need to tell a story that differs from the one she actually lived shows how she tries to heal from this traumatic experience.
Surviving with wolves is therefore a book that is worth reading, especially for people who like animals and are interested in war stories. However, anybody can find it interesting, as it is extremely varied and well written..

 
Read for the A&M Challenge Biographie, Témoignage, Réaliste

Challenge Biographie/témoignage A&M


Challenge Biographies / témoignages / réalistes
Organisé par: le Forum A&M
Du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2013
Ce challenge propose une liste de 20 livres à lire jusqu'à la fin de l'année. Il faut faire une chronique pour valider les lectures.

1) Entre les murs, de François Bégaudeau
2) L'enfant de tous les Silences, de Kim Edwards
3) Stupeurs et tremblements, d'Amélie Nothomb [Lu le 27.05.2012]
4) Ma vie pour la tienne, de Jodie Picoult
5) Brûlée vive, de Souad
6) Survivre avec les loups, de Mischa Defonseca [Read on 15.05.2012]
7) L'Herbe bleue, Anonyme
8) 3096 jours, de Natasha Kampush
9) J'avais 12 ans, j'ai pris mon vélo et je suis partie à l'école..., De Sabine Dardenne
10) Chronique d'un médecin légiste, de Michel Sapanet
11) L'enfant qui ne pleurait pas, de Torey L. Hayden
12) Mutilée, de Khady
13) Elle s'appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay
14) XXL, de Julia Bell [Lu le 04.07.2012]
15) L'Enfer de Kathy, de Kathy O'Beirne
16) La petite princesse, de Francès Hodgson Burnett
17) Personne ne voulait me croire, de Salime Sy
18) Le pacte des vierges, de Vanessa Schneider
19) Mes chères voisines, de Marisa de los Santos
20) La Nostalgie de l'ange, d'Alice Sebold

Belle du Seigneur par Albert Cohen





couverture livre

Auteur:Albert Cohen
Date de publication:1968
Editions: Gallimard, folio
Pages:1110
Mon avis
* Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts.*

"Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d'eux seuls préoccupés, goûtaient l'un à l'autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d'être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s'admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante, exceptionnelle, femme aimée, parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu'il étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c'était cela, amoureux, et il lui murmurait qu'il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu'ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu'ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d'elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs, oui, tous les soirs, il se verraient."
Ariane devant son seigneur, son maître, son aimé Solal, tous deux entourés d'une foule de comparses: ce roman est le chef d’œuvre de la littérature amoureuse de notre époque.

*Arrivé devant le Palais des Nations, il le savoura. Levant la tête et aspirant fort par les narines, il en aima la puissance et les traitements. Un officiel, il était un officiel, nom d'un chien, et il travaillait dans un palais, un palais immense, tout neuf, archimoderne, mon cher, tout le confort! Et pas d'impôts à payer, murmura-t-il en se dirigeant vers la porte d'entrée.* 
Genève dans les années 1930. Un homme séduisant se déguise en vieillard juif et s’introduit chez Ariane Deume pour la séduire. Cet événement marque le début d’une relation hors du commun entre une femme mariée et le supérieur de son mari. Du mépris à la passion, nous suivrons la belle Ariane et son Seigneur Solal dans leur amour à travers l’Europe de l’avant-guerre.
Autour du couple d’amants gravitent d’autres personnages, tous aussi intéressants les uns que les autres. Nous avons la famille Deume, qu’Albert Cohen ne se prive pas de ridiculiser. Adrien, le mari d’Ariane, fonctionnaire au Palais des Nations, est l’exemple parfait de l’homme intéressé par rien d’autre que son ascension sociale. Pour lui, tout est basé sur les relations, l’importance des fréquentations et, surtout, sur l’apparence. Les scènes qui le concernent sont très comiques, toujours dans l’exagération et même les événements les plus sérieux basculent systématiquement dans le ridicule. Le fait qu’il vive dans la même maison que ses parents ajoute à cette impression et, par ce choix, l’auteur a en même temps l’opportunité de nous faire faire connaissance avec d’autres personnages – tout aussi divertissant : M. et Mme Deume.
Du côté de Solal, nous rencontrons les Valeureux, ses cousins, qui visitent Genève à plusieurs reprises. Les passages les concernant m’ont beaucoup plu car ils sont tout à fait inattendus. Débarquant tout droit de leur Céphalonie natale, ils sont complètement décalés par rapport aux diplomates et représentants de la ville. Ils ont une manière de parler et d’agir très différente de tous les autres personnages et mettent en place différents stratagèmes pour s’attirer les bonnes grâces de Solal – et bien sûr son argent.
Les variations de langage dont je viens de parler sont sans aucun doute l’intérêt principal de ce roman. Chaque personnage à sa propre manière de parler, son vocabulaire, ses expressions. On reconnaît immédiatement si c’est Ariane qui parle, Solal, les Valeureux, la famille Deume ou Mariette, leur domestique. Nous avons principalement affaire aux amants, qui s’enferment à plusieurs reprises dans des monologues intérieurs. Sur le modèle d’Ulysse de James Joyce, ces derniers ne sont la plupart du temps pas ponctués. Nous suivons ainsi le fil des pensées des personnages, ce qui nous donne de nombreuses informations sur leur caractère et leur personnalité. De plus, ce procédé nous permet de passer d’un point de vue à l’autre et nous aide ainsi à regarder les faits de plusieurs points de vue différents.
Certains de ces monologues sont toutefois relativement longs et difficiles à comprendre. Ajoutés à quelques longueurs dans le déroulement de l’intrigue et à la complexité de l’écriture – qui teinte toutefois magnifiquement de poésie cette œuvre – ils dissuaderont probablement plusieurs lecteurs.
Ces quelques difficultés dépassées, on aura alors tout le loisir apprécier une critique de la bourgeoisie et de son monde impitoyable, du snobisme et de la Société des Nations ainsi que, bien évidemment, l’analyse du thème principal du roman : la passion. On assistera à la séduction, qui se transformera en passion avant d’entamer sa décadence. Tout au long de ce chemin, on découvrira ainsi plusieurs facettes des personnages.
L’histoire est centrée sur les deux amants bien sûr, mais nous visitons en même temps Genève et, dans une Europe où l’antisémitisme prend de l’importance, nous découvrons la vie d’avant la première Guerre Mondiale.
Ce chef-d’œuvre de la littérature francophone du XXe siècle est à lire absolument pour quiconque apprécie les histoires d’amour - l'amour, étudié sous tous ses aspects - et les belles plumes, et qui n’a pas peur du grand nombre de page et de la complexité de certains chapitres.